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L’infrastructure clarifie la ville intermédiaire

Pour un horizon esthétique des infrastructures routières


Paris, ville dense par excellence, a sa ville « intermédiaire » qui est peuplée d’infrastructures lourdes, offrant un paysage commun à de nombreuses métropoles. L’équipement routier n’y a rien à envier aux agglomérations américaines 1 et interpelle les urbanistes : faut-il en prendre parti, le condamner, le subir ou en faire un ferment de projets, une matière possible avec laquelle négocier pour dégager des marges d’action et de densification dans la ville intermédiaire ? Cette situation engage des imaginaires urbains à l’œuvre sur le territoire.

Les infrastructures routières sont, avant tout, un héritage à prendre en main dans une ère de transition car le temps des idéologies univoques est passé. Les structures du 19e siècle, comme le métro aérien, ont mis du temps à être acceptées mais l’« art des ingénieurs » constitue un patrimoine et contribue à l’identité de la ville, aidée en cela par la mise en valeur des structures ou la « greffe » d’usages (terrains de jeux) qui s’installent par endroit sous les voies 2. On peut faire le pari qu’il en sera de même pour le périphérique et l’ensemble des ouvrages routiers. C’est en cela que ces infrastructures appellent une nouvelle esthétique urbaine.

À bien des égards la ville intermédiaire est dans un état d’adolescence, à la fois « en train de se faire » et disposant d’un caractère déjà bien affirmé. Ce territoire « en cours » est passionnant et il faut apprendre à le regarder en augmentant ses qualités. Cet apprentissage passe par l’apprivoisement des infrastructures avec lesquelles l’urbaniste doit « flirter » dans ses différents projets.

Les portes de Paris : la « nuisance créatrice »


Parler aujourd’hui du périphérique c’est bien souvent évoquer sa couverture partielle, c'est-à-dire sa disparition pure et simple du paysage avec ses conséquences acoustiques, de pollution et de discontinuité urbaine. Ce jeu risqué hypothèque le futur d’un équipement en reléguant les automobilistes dans des tunnels désagréables, coûteux 3 et difficilement réversibles. Cette vision ignore en outre le caractère « extraterritorial » de l’infrastructure, n’obéissant qu’à ses propres règles topographiques et géométriques. Notre proposition prospective de transformation de la Porte de Charenton 4 apporte des réponses nécessairement plus complexes en rassemblant dans une même stratégie les améliorations à apporter point par point aux dysfonctionnements de l’espace public. Passerelles au-dessus des bretelles, systèmes en encorbellement protégeant du bruit et parfois même traversée à niveau, le spectre des actions est large pour, en clarifiant ainsi l’espace public en un point crucial, renforcer la relation entre Paris, le bois de Vincennes et Charenton-le-Pont, et faciliter l’accueil de nouveaux modes de déplacements et de nouveaux usages.

Le projet de la Porte Pouchet, lui, permet l’invention de nouvelles typologies architecturales 5 et d’espaces publics. C’est le cas de la place qui se glisse sous le périphérique pour relier Paris à Clichy et Saint-Ouen. Cet espace a été déduit des possibilités du site et des nuisances qui s’y expriment comme de la délocalisation de services urbains envahissants. La nouvelle place devient un maillon d’un « parcours vert » reliant la Seine au parc des Batignolles. Parallèlement, la reconversion de logements vétustes des années 60 6, la déconstruction d’autres, dans des situations trop difficiles, et la construction de 230 logements neufs 7 contribuent à la mutation du site : un renversement du regard qui fait des territoires liés aux infrastructures une ressource, un réservoir d’urbanité, à exploiter tant en termes de foncier, en densifiant précisément là où la desserte tous modes est efficace, qu’en termes d’espace public nouveaux. Ceci permet de passer du statut de limite à celui d’une frontière positive, un seuil qui qualifie et produit des lieux de destination et d’usages émergents rassemblant Paris et ses plus proches voisins.

Transformer l’essai : la méthode des « points faibles »


« Pour qu’une chose soit intéressante, il suffit de la regarder longtemps » écrivit Flaubert, une attitude utile dans la compréhension des autoroutes que nous avons fini par connaître aussi bien (voire mieux) que les ingénieurs. Malgré leur échelle imposante, ce sont les petites choses qui permettent de débloquer les situations et de faire évoluer les grandes. En outre, la « grande infrastructure » peut supporter une idée alternative de la mobilité, ce qui peut commencer par l’installation de lignes de bus sur une des voies en les maillant avec l’ensemble du territoire 8. Une façon de re-contextualiser l’autoroute et de renouveler la question de son intégration dans la ville.

Cependant, comment rassembler l’ensemble des acteurs pour imaginer le futur de ces grandes infrastructures qui débordent les périmètres institutionnels ? Il faut faire appel tout à la fois à l’État, aux Régions et Départements et enfin aux Villes ce qui est rarement réalisable et brouille la lecture d’une gouvernance articulée : on se sait jamais bien qui organise, participe et décide. Dans ce cadre flou, la place laissée à la participation des habitants et des usagers a tendance à disparaître. Face à ce constat, une stratégie est possible : une « méthode des points faibles » qui s’« attaquerait » aux petites choses, aux points faibles du système routier et ferait écho à l’importance accrue des « signaux faibles » en termes de pratiques de mobilité 9.

Travailler les points faibles nous permet d’être économes en moyens financiers et aussi en actions. Cela passe par la recherche d’un système de lieux offrant de nouveaux services, associés à de nouveaux usages en lien avec les grandes infrastructures. Les démarches sont diverses, nombreuses et polymorphes. Par exemple, là où une couverture semble la seule possibilité d’amélioration, la surélévation des soutènements au pied d’immeubles collectifs situés en bordure de périphérique permet d’inverser la pente des talus. Ces espaces plantés, auparavant inaccessibles, sont alors utilisables et protègent les logements du bruit. Ces « talus inversés » peuvent être le début d’un cercle vertueux, qui inciterait à la réhabilitation globale d’un quartier 10. Les exemples ne manquent pas et chaque « anomalie » est l’occasion d’un projet ponctuel débloquant la situation. À Gentilly, au droit de la Cité Universitaire, existe une bretelle sous-utilisée et dangereuse même si elle est présentée comme importante par les exploitants du Périphérique (car elle permet un choix alternatif d’accès au Périphérique). Il serait très envisageable de la déclasser pour y réaliser les appuis d’un bâtiment-pont ou de passerelles, ce qui ferait évoluer une grande partie de Gentilly là où l’importance du périphérique semble condamner tout rapport entre Paris et ses voisins 11. Un autre exemple de point faible aux grands effets potentiels.

« L’infrastructure clarifie la ville intermédiaire », article de Pierre Alain Trévelo, publié dans Ville et Voiture, dir. Ariella Masboungi, éditions Parenthèses, Marseille, 2015.

 

  • 1. Le taux d’équipement routier parisien est comparable à celui d’une ville comme Dallas.
  • 2. Et aussi des nuisances relatives (avec le nouveau matériel, le métro émet maintenant moins de bruit et de pollution que la voiture).
  • 3. De l’ordre de 6 000€/m² pour la couverture elle-même, de 30 à 40 mètres de largeur, indépendamment du cout des aménagements de la dalle !
  • 4. Voir l’ouvrage : TVK Pierre Alain Trévelo et Antoine Viger-Kohler, No Limit, Étude d’insertion urbaine du Boulevard périphérique, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, Paris, 2008, pp. 240 à 249.
  • 5. Et jusqu’à une nouvelle organisation des logements et des bureaux.
  • 6. Tour Bois-le-Prêtre par l’agence Lacaton & Vassal, et Frédéric Druot, Prix de l’Équerre d’argent 2011.
  • 7. Permise entre autre par la division par deux d’une voie de 25 mètres, ce qui a permis de dégager des capacités de construction qui ont métamorphosé le site, délaissé entre arrières d’immeubles scolaires et mur de cimetière.
  • 8. Cf. l’étude sur l’autoroute A4 avec François Leclercq et Yannick Beltrando.
  • 9. Cf. Partie #4.
  • 10. Voir l’ouvrage : TVK Pierre Alain Trévelo et Antoine Viger-Kohler, No Limit, Étude d’insertion urbaine du Boulevard périphérique, Éditions du Pavillon de l’Arsenal, Paris, 2008, pp. 228-229.
  • 11. Ibid. pp. 264 à 277