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Function imprints matter

La fonction a été au cœur des débats architecturaux du XXe siècle. D’abord survalorisée par les architectes des CIAM, puis discréditée au profit de notions comme l’événement, le freespace, le signe ou le symbole. La solidité (firmitas), troisième pôle de la triade vitruvienne avec l’utilité (utilitas) et la beauté (venustas), est restée la grande oubliée de ces controverses.

Les problématiques de soutenabilité et de cycles de vie nous obligent aujourd’hui à réfléchir à la manière dont la fonction donne forme à la matière. 

Article

Function imprints matter

Auteur

Pierre Alain Trévelo

Publication

Identität der Architektur : III. Funktion – Positionen zur Bedeutung der Funktion in der Architektur

Directeurs

Hartwig Schneider (dir.), Uwe Schröder (dir.)

Éditeur

Walter König, Cologne

Date

2020

Typologies
Écrits
© Julien Hourcade
© Julien Hourcade

Obsolescence of function


Construit dans les années 1970, le petit immeuble de bureaux d’Arcueil que nous avons transformé en résidence étudiante en 2010 a été frappé d’une relative obsolescence. Comme beaucoup des « machines à travailler » construites au cours des cinquante dernières années dans la région parisienne, il est devenu inadapté aux manières contemporaines de travailler 1. Seule la complexité du droit de l’urbanisme français l’a sauvé de la démolition complète et a amené ses propriétaires à envisager sa transformation en résidence pour étudiants. La surface construite était supérieure à celle autorisée par le nouveau règlement local d’occupation du sol et la transformation du bâtiment existant a permis ainsi de construire un nombre plus important de chambres que la reconstruction d’un bâtiment neuf.


Permanence of the matter


Pour pouvoir ouvrir à nouveau le champ des possibles et donner un nouveau destin à l’édifice, nous avons mené une enquête sur la morphologie matérielle du bâtiment pour comprendre comment la matière avait été façonnée par la fonction, et identifier ce que celle-ci avait déterminé définitivement et ce qui pouvait encore changer et être repensé.

L’enquête a révélé que les standards de bureaux des années 1970 ont généré sur ce site une stratification de planchers en béton espacés de 2,80m. Ces agrégats minéraux de ciment, de sable et de graviers, tramées par des fils d’acier, ont formé deux séries décalées de plateaux libres de 16m de profondeur reliés par des poteaux et articulés par un noyau de circulation qui les contreventait. L’ensemble était habillé par un mur-rideau composé de verre et de panneaux sandwichs en aluminium qui dessinait les contours des deux volumes.

Cette empreinte matérielle de la fonction d’origine était devenue incompatible avec les nouveaux standards fonctionnels de la programmation tertiaire. Pourtant, les qualités structurelles de cette empreinte et ses capacités intrinsèques d’évolution ouvraient la voie à la possibilité d’accueillir une nouvelle occupation pour de l’hébergement.


Erosion and sedimentation


Le processus de transformation a d’abord agi comme une force d’érosion qui a emporté les éléments matériels les plus obsolètes, à commencer par le mur-rideau qui contenait de l’amiante et n’offrait pas une isolation thermique suffisante. Ensuite, nous avons décidé de découper l’ossature en béton originale pour supprimer le noyau de circulation central et offrir une traversée du bâtiment qui relie les deux coursives. Cette soustraction de matière a été possible grâce aux propriétés de la construction d’origine. Le système constructif de « poteau-dalle » – une dalle pleine, sans poutre, reliée directement aux poteaux par un principe de ferraillage en champignon – qui assure une forte stabilité à l’ensemble, a permis de déconstruire le noyau central et de limiter la matière nécessaire au contreventement dans la nouvelle configuration.

L’extension de la structure avec l’ajout des coursives portées par des potences en béton coulé en place est venue apposer comme une nouvelle couche de sédiments minéraux dans lesquels ont pu être enchâssés des grandes baies de verre aux montants en bois. Desservir par des coursives extérieures rajoutées à la structure originale a permis d’augmenter la surface disponible pour les chambres et d’apporter de nouveaux usages qui n’existaient pas dans la fonction précédente.

L’évolution vers une nouvelle fonction correspond ici en quelque sorte à un moment d’érosion puis de sédimentation de la première empreinte matérielle.

Plan rez-de-chausée
Plan rez-de-chausée
Plan d’étage courant
Plan d’étage courant

Infrastructural properties


Cette expérience de modification de la destination fonctionnelle du bâtiment nous amène donc à investir l’angle constructif délaissé par la théorie fonctionnaliste. Au-delà du rôle de la fonction sur la forme esthétique de l’architecture, c’est l’empreinte qu’elle laisse dans la matière qui nous a guidés dans ce projet.

Dans l’Architecture de la ville, en 1966, Aldo Rossi a porté une charge puissante contre le fonctionnalisme avec le concept de permanence des faits urbains. L’image désormais célèbre des arènes d’Arles devenues forteresse était la preuve que la fonction ne définissait pas nécessairement la forme. Plutôt que d’exprimer les fonctions, les architectes pouvaient désormais jouer avec toute une grammaire de formes archétypales héritées du passé.

Le travail de transformation, et par extension la conception de bâtiments dont les fonctions seraient réversibles, appelle à faire un pas de côté et ne pas se limiter aux considérations sémiotiques d’Aldo Rossi. La permanence est avant tout ce que la fonction a imprimé dans la matière. Les enjeux contemporains d’économie de matière et d’énergie nous poussent à être attentif peut-être moins à la dimension symbolique immatérielle des infrastructures dont nous héritons qu’à leurs propriétés matérielles intrinsèques.

La fonction imprime la matière et lui confère des propriétés. Ces propriétés infrastructurelles précèdent et succèdent à la cristallisation du rapport forme/fonction dans une architecture donnée. Et la vie d’un bâtiment peut être considérée comme une succession d’empreinte fonctionnelles qui lui ajoutent et lui retranchent de la matière. C’est à partir des propriétés de l’infrastructure que peut se penser l’architecture sur la longue durée, comme un cycle d’émergences reliées par un même destin matériel.

Article de Pierre Alain Trévelo, Antoine Viger-Kohler avec David Malaud publié dans Identität der Architektur III: Funktion, 2020.